Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à la Maison Marie-Thérèse

Dimanche 12 mars 2023 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– 3e Dimanche de Carême – Année A

- Ex 17, 3-7 ; Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42

Frères et sœurs,

Si les Samaritains de Sykar ont confessé ce juif de Nazareth, - d’où il ne peut rien sortir de bon -, comme sauveur du monde, ce n’est pas un événement qui a surgit comme cela brusquement. C’est le fruit d’un long chemin que ce chapitre de l’évangile de saint Jean nous invite à comprendre et à parcourir. Évidemment, nous ne le parcourrons pas en détail, mais au moins, nous pouvons regarder le point de départ et le point d’arrivée.

Le point de départ, c’est cette rencontre apparemment fortuite de Jésus avec une Samaritaine au bord du puits de Jacob, qui permet d’entamer un dialogue. Cela vous paraît peut-être exagéré de parler d’un dialogue, parce qu’il s’y dit des choses différentes, mais c’est quand même un dialogue parce l’un et l’autre utilisent le même mot. Nous découvrons ainsi, grâce à saint Jean, une des dynamiques de la mission et de la catéchèse de l’Église : présenter et parler des choses de Dieu, pour autant qu’elle en est capable, avec les mots des hommes. Jésus va parler à la femme de Samarie de l’eau de la vie éternelle, qu’elle ne connaît pas, avec le mot qu’elle utilise pour parler de l’eau du puits de Jacob. C’est sur ce malentendu que va s’établir le dialogue. On a le même mot mais il ne désigne pas tout à fait la même réalité, et pourtant il désigne un peu la même réalité, sans cela il ne pourrait pas être le même mot.

Cela nous aide à comprendre que ces réalités dans lesquelles nous sommes immergés, et dans lesquelles nous vivons, sont comme un reflet brouillé, « comme un miroir » dira saint Paul, des réalités de Dieu que nous ne voyons pas, que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons pas nommer, mais il faut bien que nous puissions nommer quelque chose ! C’est avec nos mots humains que nous nommons les choses. On parle du père, du fils, de la mère, des disciples, et du pain, et de l’eau, et du vin. Et nous croyons que nous parlons de quelque chose que nous connaissons, mais en fait nous faisons appel, à partir de ce que nous connaissons évidemment, à une réalité que nous ne connaissons pas. Nous parlons du père, mais nous ne savons pas ce que cela veut dire que Dieu est Père. Nous parlons du fils, mais il va falloir beaucoup de temps pour découvrir ce que cela veut dire que d’être Fils sur le calvaire. Nous parlons du pain, mais Jésus nous dit : j’ai une autre nourriture qui est de faire la volonté du Père.

C’est ainsi que toute notre vie devient à la fois un langage pour découvrir un peu quelque chose de Dieu et un langage qui masque quelque chose de Dieu. Et notre expérience de vie est la seule ressource que nous avons pour comprendre un peu quelque chose de Dieu, pour dire un peu quelque chose de Dieu, mais en sachant que ce peu que nous disons ne correspond pas à ce que Dieu veut nous donner. Si tu savais le don de Dieu et celui qui te parle, alors c’est toi qui le prierais de te donner de l’eau, et il te donnerait de l’eau vive. Si nous savions le don de Dieu, eh bien, nous serions en Dieu et nous ne serions plus ici.

Nous découvrons là, péniblement, laborieusement, lentement, quelque chose du don de Dieu à travers le Fils. Mais nous voyons dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine que pour débloquer l’écran qui sépare ce qu’elle sait de ce qu’elle ne sait pas, il faut passer par son sixième mari, il faut passer par ce jet de lumière que Jésus projette sur sa vie et qui lui permet de comprendre qu’elle a affaire à quelqu’un qui n’est pas ordinaire.

Chacun et chacune d’entre nous, nous avons dans notre vie un verrou, ou quelques petits verrous, qui nous empêchent de comprendre, de connaître et de suivre le Christ. Mais dans la lumière de la Parole du Christ, ces verrous peuvent sauter, du moins, nous pouvons les connaître, nous pouvons les découvrir et nous pouvons suivre la femme de Samarie en disant : moi, il m’a dit tout ce que j’ai fait. Jésus m’a dit tout ce que j’ai fait, du coup je sais que c’est lui le Messie.

C’est à partir du moment où nous reconnaissons qu’il est celui qui fait sauter le verrou, qui nous met à jour et qui éclaire notre vie, que nous pouvons, un peu, comprendre le don de Dieu qui nous est fait en sa personne.

Chacune et chacun d’entre nous supporte, avec plus ou moins de facilité, les difficultés d’une fin de vie, les difficultés de la maladie, les difficultés du handicap de l’âge, la solitude de l’isolement. Nous supportons tout cela, non pas parce que nous savons que c’est Dieu qui le veut, mais parce que nous savons que c’est dans tout cela que Dieu nous révèle le don qu’il veut nous accorder. Si tu savais le don de Dieu, tu ne lui demanderais pas d’être délivré de ta vie, tu lui demanderais d’assumer ta vie, de la porter et de l’offrir dans la vie du Christ.

Alors avec les Samaritains de Sykar, nous pouvons dire : nous avons entendu de sa bouche ce qu’il avait à dire et nous savons que c’est lui le Sauveur du monde.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

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