Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du 2e dimanche de Carême à la Maison Marie-Thérèse

Dimanche 28 février 2021 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– 2e Dimanche de Carême – Année B

- Gn 22,1-2.9-13.15-18 ; Ps 115, 10.15-19 ; Rm 8, 31b-34 ; Mc 9, 2-10

Frères et Sœurs,

Cette transformation visible de Jésus pour Pierre, Jacques et Jean, répond à une question qui s’est construite tout au long de la vie publique de Jésus. Cet homme qui enseignait avec autorité, qui guérissait les malades, qui chassait les esprits mauvais, qui dominait les vents et la mer, qui était-il ? Bien sûr, tout le monde savait qui il était, en tout cas tout le monde en parlait. Il était le fils du charpentier de Nazareth, et tout le monde était étonné que de Nazareth soit sorti un prodige aussi impressionnant.

Vous savez que juste avant cette expérience de la transfiguration, dans la discussion qu’on appelle la confession de Césarée, Jésus récolte les échos qui courent sur lui : « qui dit-on que je suis ? ». Alors les uns disent, c’est Élie, les autres, c’est un prophète, « et vous qui dites-vous que je suis ? » Pierre répond : « tu es le Christ. » Et tout le monde croit que la discussion est terminée. Mais juste après, Pierre montre que ce que sa langue a proclamé et que sa voix a dit, il ne le comprend pas encore, car ce Christ, il l’imagine victorieux, et Jésus annonce qu’il sera un Messie souffrant.

Nous sommes, dans les évangiles, à ce tournant où l’on passe de la vie publique attractive et démonstrative de Jésus, pour prendre le chemin de Jérusalem, où il va devoir subir le procès, la passion, la crucifixion, et où il ressuscitera. Pour ceux qui le suivent, c’est un passage qui n’est pas facile. Par conséquent, cette apparition, avec tous les attributs de la manifestation de Dieu, - une blancheur exceptionnelle, une voix qui tombe de la nuée comme au moment du baptême de Jésus par Jean Baptiste -, cette manifestation de Dieu a pour premier objectif de les confirmer dans l’identité de Jésus : « Celui-ci est mon fils bien-aimé. » (Mc 9,7). Alors, vous n’avez plus à vous poser de question pour savoir qui il est. On sait maintenant qui il est, en tout cas Pierre, Jacques et Jean savent qui il est.

En répondant à cette question par la transfiguration, en rendant visible dans les signes de la manifestation de Dieu l’identité réelle qui demeurait invisible dans l’humanité de Jésus, l’Évangile apporte une réponse à une deuxième question qui n’est pas formulée. Car si Jésus est le fils bien-aimé du Père, il nous fait comprendre qui est Dieu. La révélation sur Jésus de Nazareth, c’est aussi la révélation sur Dieu. Le Dieu qui se révèle dans la personne de Jésus de Nazareth, qui va se manifester au long de son chemin jusqu’au Golgotha et à la résurrection, n’est pas le Dieu auquel tout le monde pense. Il ne correspond pas à l’idée que les gens se font de Dieu. On peut dire d’une certaine façon que l’expérience du sacrifice d’Isaac a été un seuil dans cette manière de comprendre Dieu. Abraham a foi en Dieu et en sa parole. Il a foi en un Dieu qui a besoin de sacrifice humain. C’est grâce à cette foi que Dieu va lui permettre de découvrir qu’il n’est pas un Dieu prédateur, qu’il n’est pas comme les dieux païens qui se nourrissent de la substance de l’humanité, mais qu’il est un Dieu qui est source de vie et de prospérité pour son peuple et que le peuple ne peut acheter ni la vie, ni la prospérité, fût-ce au prix de la vie de ses enfants.

C’est un visage de Dieu auquel nous avons toujours besoin de nous convertir, car nous sommes assez enclins à nous représenter à la manière des dieux païens, des dieux qu’on achète, qu’on se fabrique, et qu’on s’achète par des sacrifices ! Et quand nous pensons, quand nous vivons un chemin de conversion, nous sommes souvent tentés de croire que nous allons faire changer Dieu par les beaux efforts que nous faisons et par les mérites que nous gagnons devant lui. Avec Abraham nous avons le couteau facile, mais ce n’est pas cela que Dieu veut, car Dieu ne s’est pas manifesté à nous comme celui qui va profiter de nous, il s’est manifesté à nous comme celui qui donne tout, comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Romains. « Il donne tout, il est tout ». Il n’est pas prédateur, il est donateur. Et nous ne sommes pas les donateurs de biens dont Dieu aurait besoin, nous sommes les bénéficiaires du don qu’il nous fait de lui-même, non seulement parce que c’est de sa libre volonté, mais parce que c’est lui-même qu’il donne en son fils.

C’est ce mystère qui est tellement extraordinaire dans notre expérience des relations interpersonnelles, des relations sociales, où nous sommes accoutumés à exercer la réciprocité mais non la gratuité. Dieu nous donne tout, il ne nous prend rien. C’est à cela que nous sommes invités à nous convertir par la manifestation divine dans la personne de Jésus de Nazareth. Il va nous faire découvrir, au long de son chemin vers Jérusalem et au cours de sa Passion, ce que veut dire tout donner : c’est se donner soi-même, jusqu’au bout, sans regret, sans calcul, simplement parce que Dieu est don, et qu’il ne peut se comprendre que comme un don.

Si nous sommes invités à suivre le chemin du Christ, c’est pour construire en nous cette figure de celui qui apprend à donner, à se donner, à se donner soi-même, celui qui apprend à être dans la dynamique de l’amour salvateur de Dieu, et non dans la dynamique du commerce entre les dieux et les hommes où nous avons toujours le sentiment que nous pouvons gagner quelque chose si nous sacrifions quelque chose. Nous n’avons rien à sacrifier qui corresponde à ce que Dieu nous donne. C’est parce qu’il nous donne tout que nous sommes délivrés de toute possession et que nous sommes entraînés à la suite du Christ à devenir nous-mêmes offrandes par amour pour Dieu et pour nos frères.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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