Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe pour la Pologne et les victimes de l’accident de l’avion présidentiel près de Smolensk (Russie) dans lequel le président polonais a trouvé la mort.

Cathédrale Saint-Louis des Invalides - Lundi 19 avril 2010

 Rm 14, 7 à 12 ; Ps 129 ; Jn 14, 1 à 6 (lecture en polonais puis en français)

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Frères et sœurs,

Comment ne pas être bouleversés, pour reprendre la parole de l’Evangile de saint Jean (14, 1), quand nous voyons la Pologne frappée si cruellement dans ses élites, au moment même de l’anniversaire de l’exécution de Katyn, qui avait été en son temps une première décapitation de l’élite de l’armée polonaise ? Comment ne pas être plus encore troublés quand nous nous souvenons des épreuves que la Pologne a traversées au long des trois derniers siècles avant de parvenir à retrouver son identité nationale et son indépendance ? Prise entre les masses de l’Empire germanique et de l’Empire russe, elle semblait perpétuellement vouée à un partage dans lequel chacun des deux partenaires s’entendait avec l’autre pour tirer le maximum de profit de la situation. Ce triste scénario qui s’est répété tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, s’est encore renouvelé au XXe siècle, lorsque la Pologne a été partagée entre l’Empire du IIIe Reich et l’Empire de Staline. La nation polonaise a été une fois encore soumise à la force et à l’occupation de ses puissants voisins étrangers.

Tout au long de ces périodes, la liberté n’était pas le trait principal de la vie publique. Et pourtant, l’âme de la nation polonaise n’a pas sombré, et elle est restée vivante principalement à travers sa culture et sa foi, l’une et l’autre étant d’ailleurs étroitement unies et mêlées. L’expression de la poésie, de la musique et du théâtre, mais aussi et peut être surtout la foi inébranlable du peuple polonais qui n’a jamais douté de la fidélité de Dieu à travers les épreuves de l’histoire, ont porté la liberté de la Pologne. L’Église universelle et le monde ont reconnu la force et la grandeur de cette fidélité dans la personnalité du pape Jean Paul II. Il fut une sorte d’icône de cette fermeté de la liberté de l’esprit et de la liberté de la foi dans l’oppression et la dictature.

Enfin, depuis quelques décennies, la nation polonaise est libre, elle peut nouer des alliances sans contrainte, elle peut trouver sa place en lien avec le reste de l’Europe.

Le drame qui vient la frapper aura des conséquences que nous ne pouvons pas imaginer. Nous avons pensé tout de suite aux effets immédiats, politiques et militaires. Mais, plus profondément, le cœur des polonais restera marqué par ce drame affreux, comme l’a montré l’unanimité des rassemblements de ces jours derniers à Varsovie ou à Cracovie.

Comment la foi indéracinable du peuple polonais l’aide-t-elle à réagir devant cette tragédie ? Comment pouvons-nous comprendre ? Y a-t-il quelque chose à comprendre ? Le regard de l’Esprit est-il capable d’interpréter une situation inimaginable et d’une certaine façon irrationnelle ? Nous sommes des êtres de raison et avons besoin de comprendre quelque chose, de trouver un sens.

Toute l’Ecriture nous révèle que ce n’est pas la mort qui donne un sens à la vie, mais bien la vie qui donne son sens à la mort. On ne déchiffre pas l’histoire à travers la mort. On assume la mort à travers la vie. La puissance de la vie, lorsqu’elle est reçue, fructifiée et enrichie par tous les apports de l’esprit humain et de la foi, donne d’aborder la mort autrement que comme une sorte d’irrationalité inimaginable. Certes la mort reste irrationnelle au sens où elle n’a pas de sens. Mais notre vie donne du sens à notre mort : ce que nous voulions faire quand nous étions vivants éclaire d’une certaine manière l’évènement de notre mort.

Ainsi, nous ne devons pas chercher à comprendre la disparition des ces hommes et ces femmes fauchés en pleine vie en fouillant dans les débris de l’avion, mais en scrutant la trajectoire de leur existence, le service qu’ils ont accepté d’assumer pour le bien public et pour leur patrie, leur disponibilité pour leur peuple. L’accident d’avion est un point dramatique dans le déroulement de l’histoire où se dispute la conviction patriotique que la Pologne a un avenir et la disponibilité de chacune et de chacun pour que son pays continue d’exister dans son autonomie et dans sa liberté.

C’est cet hommage que nous voulons rendre au Président de la République, à son épouse, à ses collaborateurs, à tous ceux et à toutes celles qui voyageaient avec lui pour faire mémoire des exécutions de Katyn. Ce sacrifice autrement gigantesque s’inscrivait d’ailleurs dans la même trajectoire et la même signification : être prêt à donner sa vie pour que le pays vive. Beaucoup de Polonaises et de Polonais ont décidé de donner ce sens à leur existence, et ce faisant ils ont illuminé les circonstances parfois atroces dans lesquelles ils ont été emportés dans la tragédie et la mort.

A quelques mois de la Béatification du Père Popieluszko, nous pouvons penser à toutes les grandes figures des saints de la Pologne. Ils sont comme autant de lumières sur la route de son histoire et témoignent que le peuple polonais n’a pas mis en vain sa confiance en Dieu. Oui, la Pologne peut être fidèle car Dieu lui est fidèle. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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